Haut

La Sélection: 6 pièges à éviter

Finalytix.caAutres La Sélection: 6 pièges à éviter

La Sélection: 6 pièges à éviter

par Jean Maltais. 1er mars 2019

Chance ou compétence?

Lors du processus de sélection, le conseiller cherche la “perle rare”. Il veut identifier le fonds qui a “battu” son marché.  Or, de nos jours, il est relativement facile d’identifier le fonds qui a surperformé.  En effet, grâce aux systèmes de cotation de FundData™, Thomson Reuters Lipper™ ou Morningstar™ c’est maintenant chose facile.  Ces systèmes se veulent intentionnellement simples afin de favoriser une plus large utilisation.  Heureusement, ils mesurent tous une valeur ajoutée qui est ajustée pour risque. Malheureusement, la simplicité a ses défauts et ces systèmes cachent certains pièges qu’un professionnel du placement voudra éviter s’il veut construire des portefeuilles non-biaisés.  En effet, en parcourant la liste des “gagnants”, il faut se poser une question primordiale: Est-ce que cette valeur ajoutée est due à la chance ou à un réel savoir-faire?  Le conseiller qui cherche la vraie “perle rare” cherchera à connaître ces pièges et à les éviter afin de sélectionner les meilleurs gestionnaires pour ses clients et pour sa pratique. 

Puisque ces systèmes de cotation sont fréquemment utilisés par les conseillers et les compagnies de fonds dans leur publicité, nous nous en servirons comme point de référence pour expliquer leurs limites, leurs impacts et comment nous pouvons améliorer notre processus de sélection.

Piège #1: Le gestionnaire

Afin d’identifier les meilleurs gestionnaires, ne devrions-nous pas mesurer la valeur ajoutée de ceux-ci plutôt que celle du fonds?  Or, les systèmes de cotation de Fundata™, Lippers™ et Morningstar™ ne mesurent pas la valeur ajoutée d’un gestionnaire mais bien celle du fonds.  Ils ne tiennent pas compte de la durée du mandat du gestionnaire.  Ainsi, comme on peut le voir dans le tableau ci-contre, un nouveau gestionnaire hérite systématiquement de la cote de ses prédécesseurs même s’il n’a rien à voir avec ce résultat. Ceci a pour effet de biaiser notre décision puisque, en gestion active, c’est l’expertise du gestionnaire qui nous importe. 

Afin d’éliminer ce biais, nous recommandons de n’utiliser que l’historique du gestionnaire, la seule donnée vraiment pertinente, dans le calcul de sa valeur ajoutée et de son classement parmi ses pairs.

Piège #2: La période

Une fois que l’on a établi que la valeur ajoutée mesurée est bien celle du gestionnaire, il faut déterminer si sa bonne fortune est le résultat d’une compétence particulière permettant, par exemple, d’exploiter une inefficacité de marché ou si c’est purement de la chance? S’il est effectivement possible qu’un gestionnaire soit chanceux sur une courte période, les probabilités que sa bonne fortune perdure année après année diminuent au fur et à mesure que la période s’allonge.  Pour cette raison,  il est recommandé d’observer les performances d’un gestionnaire sur plusieurs cycles boursiers.  Malheureusement, les systèmes de cotation attribuent une cote à partir d’un historique de seulement 2 ans.  Nous considérons qu’un aussi court laps de temps n’est pas suffisant pour éliminer le facteur chance. 

Pour y remédier, nous recommandons d’utiliser l’historique du gestionnaire (#1) d’une durée minimale de 5 ans.  Cette période offre aussi l’avantage de nous permettre d’évaluer un autre critère clé: la consistance. 

Piège #3: Les styles

Le style du gestionnaire est une autre source d’ambiguïté pouvant conduire à des décisions biaisées.  En effet, les systèmes de cotations n’en tiennent pas compte.  Ils regroupent les fonds de style différents dans une seule et même catégorie.  Ils n’utilisent alors qu’un indice de référence pour calculer la valeur ajoutée et classer les performances à  l’intérieur de ce groupe bigarré réunissant tous les styles.

Pourquoi se préoccuper des styles? Rappelons d’abord que les titres “valeur” (ex: Walmart) sont des sociétés généralement bien établies mais dont les analystes jugent que leur prix en bourse est sous-évalué.  Pour les sociétés de type “croissance” (ex: Amazon), on juge qu’elles offrent un potentiel considérable d’expansion future. 


Ces titres affichent des ratios de performance, par exemple le ratio Cours/Bénéfices (C/B), très différents (voir tableau ci-dessous).   Ainsi, ces titres deviennent plus ou moins attrayants selon les critères du gestionnaire, sa philosophie de placement et selon l’étape du cycle. Quand on analyse les indices de style, on remarque que ces titres affichent un comportement très différent dans le temps.  Certains styles performent mieux à différentes étapes du cycle boursier.

L’étude des indices de style révèle qu’il y a présence de cycles qui peuvent durer plusieurs années et c’est ce qui peut causer un biais important.  En effet, pendant un cycle de “croissance”, les titres de “croissance” (ex: technologie) surperforment par rapport aux titres “valeur” et vice versa.  Il en va de même pour les indices de styles et des fonds qui détiennent ces titres. 

Comme les systèmes de cotation ne tiennent pas compte des styles, ils donneront les meilleures notes aux gestionnaires qui avaient le style qui a surperformé.  Par exemple, si on étudie la catégorie actions américaines, dominée par la “croissance”,  on constate que sur les 42 gestionnaires qui se sont mérités les 5 étoiles de Morningstar, 35 (soit 83%)  étaient des gestionnaires “croissance” contre 6 gestionnaires “mixte” (14%) et 1 “valeur” (2%). De même, au niveau des actions mondiales, c’est 34 gestionnaires “croissance” (57%), 15 “mixte” (36%) et 3 “valeur” (7%).  Au niveau des actions canadiennes, c’est 3 gestionnaires “croissance”  (21%), 4 “mixte” (29%) et 7 “valeur” (50%) alors que justement, c’est plutôt un cycle “valeur” qui a dominé.  Ces résultats confirment notre hypothèse selon laquelle les systèmes de cotation vont récompenser majoritairement les gestionnaires du style “en faveur” à cet instant.

En résumé, si vous utilisez une cote qui ne tient pas compte des styles et qui couvre une trop courte période, vous avez de fortes chances de prendre une décision biaisée favorisant un style au détriment de l’autre.  Comble de malchance, vous pourriez prendre cette décision juste avant un changement de cycle entraînant une contre-performance pour le client et pour vos actifs.

Si l’on n’évite pas ce piège, les portefeuilles sont systématiquement biaisés puisque les sélections favorisent tantôt un style, tantôt l’autre et ce, souvent juste avant un changement.  Par exemple, pendant la bulle techologique, les pires fonds de “croissance” battaient les meilleurs fonds “valeur”.  Résultats, les portefeuilles construits fin 1999, étaient surexposés dans ce style, ont durement payé le prix puisque le style “valeur” a dominé en 2000 et 2001.

Pour bâtir des portefeuilles non-biaisés, nous recommandons de regrouper les gestionnaires selon leurs styles: Valeur, Croissance ou Mixte. L’indice de référence doit aussi être ajusté. Pour qu’un indice soit pertinent, son contenu doit refléter le mandat, la stratégie de placement.  Alors, pour chacun des groupes, nous utiliserons l’indice de style correspondant (ex: MSCI Canada Croissance, MSCI Canada Valeur, Etc…) pour calculer la valeur ajoutée d’un gestionnaire et déterminer son classement parmi ses pairs.

Piège #4: Les différentes séries

Les sociétés de fonds communs de placement offrent généralement leurs produits en plusieurs séries.  Ces séries, identifiées par une lettre (A,B,C,F,I,T,W, etc…) s’adressent à différents types d’investisseurs.  On compte par exemple: la série de fonds destinés aux investisseurs individuels, la série de fonds à frais réduits, la série de fonds à honoraires, la série de fonds destinés aux investisseurs institutionnels et aux investisseurs à valeur nette élevée, etc… Les investisseurs de chaque série doivent satisfaire à des exigences minimales de placement et d’admissibilité et présentent une structure de frais conséquente. Puisque ces frais réduisent le rendement sur l’argent investi dans un fonds commun de placement, les rendements nets de chaque série seront différents. Comme les systèmes de cotations ne font pas de distinction entre les différentes séries, le même produit aura une cote différente selon la série observée. 

Comme on peut le voir dans le tableau suivant, le même produit, géré par le même gestionnaire est offert en 3 séries différentes (A, F, I).  On observe qu’au fur et à mesure que les frais de gestion diminuent, le rendement net augmente et la classification s’améliore (1 étoile pour la série A, 5 étoiles pour la série I).   L’inclusion de toutes ces séries différentes lors de la classification a pour effet de biaiser nos décisions de sélection.

Afin d’assurer une comparaison équitable des performances des gestionnaires, nous recommandons d’abord d’identifier votre clientèle cible.  Vous pourrez ensuite appliquer un filtre pour ne retenir que les séries pertinentes.  Finalement, vous pourrez procéder à la classification des performances et ce, uniquement pour les produits visant votre clientèle.

Piège #5: La constance

Une approche simpliste pour évaluer un gestionnaire consiste à examiner ses rendements (ou ses rendements excédentaires) et à conclure que le gestionnaire est compétent si ces rendements sont généralement positifs.  L’expertise d’un gestionnaire ne se mesure pas seulement par l’ampleur de sa valeur ajoutée mais aussi par sa constance à le faire. D’ailleurs dans « Thinking, Fast and Slow », Daniel Kahneman (Prix Nobel d’économie en 2002) déclare que « le diagnostic de l’existence d’une compétence c’est la constance à se démarquer des autres ».  En effet, se démarquer une fois peut être le résultat de la chance alors que plus un gestionnaire démontre un haut niveau de constance à rééditer cet exploit, plus il nous démontre sa compétence. 

À ce chapitre, les systèmes de cotation ne mesurent que l’ampleur de la valeur ajoutée.  Ils prennent un “polaroïd” de la performance du fonds sur 3, 5 et 10 ans à une date donnée.  Prenons par exemple 2 gestionnaires A et B ayant généré tous deux un rendement de 10% en trois ans.  Le gestionnaire A a sous performé pendant 2 ans et a surperformé la troisième année alors que l’autre a surperformé sur une base plus constante.  Si on compare avec le gestionnaire A, les probabilités que la valeur ajoutée du gestionnaire B soit uniquement reliée à la chance sont très faibles car celui-ci a démontré une forte stabilité.

Nous pouvons illustrer cette stabilité à générer de la valeur ajoutée en se servant de triangles de performance (ci-contre).  Ceux-ci nous aident à décomposer la valeur ajoutée par période et démontrent que la valeur ajoutée de A est beaucoup moins constante que celle de B.

Nous recommandons d’utiliser des moyennes mobiles sur toute la durée du mandat du gestionnaire. Afin d’avoir une idée du “film”, donc de la constance du gestionnaire à générer une valeur ajoutée positive afin de pouvoir rejeter l’hypothèse de la chance.   

Piège #6: La redondance

Après avoir complété ces 5 étapes, nous nous retrouvons avec une présélection non-biaisée de gestionnaires qui ont démontré leur niveau de compétence sur plusieurs périodes. 

Toutefois nous recommandons de pousser encore plus loin le processus en allant au delà de l’évaluation individuelle.   Nous recommandons de tester la complémentarité des différentes combinaisons de gestionnaires.  En effet, nous avons remarqué que des  gestionnaires, ayant pourtant des mandats différents (ex: Équilibré, petites capitalisations, dividendes, grandes capitalisations), peuvent afficher des niveaux alarmant de redondance au niveau de leurs composantes. Il en résulte une forte corrélation des rendements tant à la hausse qu’à la baisse. 

Afin de maximiser le potentiel de diversification d’un portefeuille, nous recommandons de vérifier le niveau de redondance des titres pré-sélectionnés afin d’éviter les combinaisons inefficaces. 

Les dommages causés par une sélection biaisées sont insidieux mais bien réels sur votre actif. Comme on pouvait le constater dans notre recherche précédante1, la différence entre le rendement d’un bon gestionnaire (1er et 2e Quartile) celui d’un moins bon (3e et 4e Q) est de plus de 2% sur 5 ans. Pour pouvez approximer ces dommages en déterminant la part de vos actifs qui se retrouve chez des gestionnaires de 3e et 4e quartile et en multipliant ce montant par 2%. Imaginez maintenant l’impact, sur plusieurs années, de cette perte de rendement composé sur vos actifs.

En 2018, on recensait plus de 90,000 conseillers financiers au Canada.  Comment se démarquer dans cette environnement très compétitif et de plus en plus contraignant?  Certainement en offrant des services plus sophistiqués que ceux offerts à tous via les services en lignes de robot-conseillers.   


Jean Maltais, M.Sc.


Expertise de plus de 30 ans dans l’industrie du placement au Canada auprès de banque, cabinets de services financiers et sociétés de fonds communs de placement dans le développement de produits financiers et technologiques. Pionnier de la construction de portefeuilles modèles personnalisés au Canada avec l’analyse de la pratique de plus de 1600 conseillers financiers depuis 2002.  Depuis 2013, j’offre un service conseil indépendant en suivi de portefeuille, en sélection de titres, optimisation des processus et documentation marketing.

www.finalytix.ca

Tél:  581.995.8942

courriel: jmaltais@finalytix.ca

Aucun commentaire

Laisser un commentaire